Lettres aux acteurs
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Voilà qu’on a énuméré (bouche, anus, vagin) les trois embouchures avec quoi on a fait ça, hein ? Parce que la distribution des voix, le choix des « personnages » dans c’t’écriture dramatique, ça se présentait aussi (surtout) comme un choix d’embouchures à mettre à un canal d’air soufflé qui sort sans arrêt. Cet Atelier volant vole bas, faut l’dire… Parce que ce n’était pas seulement un raccourci perspicace sur l’usine du monde, mais une descente aussi et en même temps dans l’usine dedans… Ça n’est pas vraiment vu de l’extérieur tout ça, pour la bonne raison que celui qui tenait l’crayon n’avait jamais mis les pieds dans aucune fabrique, et qu’il n’y a pas de visite à faire pour trouver d’l’oppression, mais simplement vouloir bien descendre un peu dans son corps. Courage ! Bon. Et puis, L’Atelier volant il démonte un peu la mécanique sociale, mais il montre surtout ses maladies. Maladies de l’acteur. Défilons, défilons, montrons nos culs à la bête troupe des bien-portants ! « J’leur montre comme je meurs. » Ça fait peur, c’est du suicide de jouer comme ça,
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Le metteur en chef, il veut que l’acteur se gratte comme lui, imite son corps. Ça donne le « jeu d’ensemble », le « style de la compagnie » ; c’est-àdire que tout le monde cherche à imiter le seul corps qui se montre pas. Les journalistes raffolent de ça : voir partout le portrait-robot du metteur en scène qui ose pas sortir. Alors que je veux voir chaque corps me montrer la maladie singulière qui va l’emporter.
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Tout théâtre, n’importe quel théâtre, agit toujours et très fort sur les cerveaux, ébranle ou perpétue le système domineur. Je veux qu’on m’y change mes perceptions. Faut qu’urge la fin du syste. Faut urger! Il urge qu’on mette la fin, commence la chute du système de reproduction en cours.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ceux qui dominent, Madame, ont toujours intérêt à faire disparaître la matière, à supprimer toujours le corps, le support, l’endroit d’où ça parle, à faire croire que les mots tombent droit du ciel dans le cerveau, que ce sont des pensées qui s’expriment, pas des corps .
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extrait
valère novarina